Aller au contenu

Page:Groulx - Mes mémoires tome I, 1970.djvu/322

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
312
mes mémoires

l’incident dans ses « Silhouettes du jour : M. Groulx » (Le Devoir, 22 novembre 1926). Je n’ai guère désiré l’admission à cette Société Royale, admission considérée par tout honnête Anglo-Canadien à l’égal d’un couronnement de carrière, disons même comme la consécration d’une œuvre ou d’un talent. Je connais alors un bon nombre de membres de la section I, section française, braves gens qui n’y représentent, à vrai dire, que notre ferblanterie nationale, auteurs tout au plus d’une plaquette restée souvent invendue. Surtout je ne vois pas où trouver le temps de collaborer activement à la Société. Et je n’ai jamais eu le goût de ces corps académiques ou autres où l’on ne se laisse porter que pour l’honneur d’y figurer. Au reste, la coutume ou le rite traditionnel m’impose, un peu comme aux candidats à l’Académie française, des sollicitations de votes, des visites à domicile : démarches pour lesquelles je n’éprouve qu’un goût médiocre. Mes amis ou patrons de ma candidature y ont pourvu : « Les sollicitations, nous nous en chargeons ! » Ils s’en chargent ; leur candidat passe comme lettre à la poste. Il ne lui reste qu’à obtenir ratification de son élection à la réunion générale de la Société fixée aux 21, 22, 23 mai 1918. Hélas, la lettre à la poste va courir l’affreux risque de passer au cimetière des lettres mortes. Mes cours et mes discours ont provoqué divers remous dans les milieux anglo-canadiens et même canadiens-français. En ceux-ci je dérange les politiciens et les idées généralement reçues dans le clan de la bourgeoisie d’affaires. On me trouve plus qu’impertinent, voire fâcheux, sur des sujets tels que les relations entre les races, la résistance à l’assimilation, la revendication des droits de la nationalité canadienne-française : toutes choses conçues, jugées, en ces milieux, sous l’angle étroit de l’intérêt politique et partisan ou des soucis encore plus sordides de l’arrivisme, du succès personnel et matériel, quand ce n’est pas le souci rudimentaire de la paix, de la tranquillité à tout prix : résignation du vivant qui a renoncé à la vie. Dans les milieux anglo-canadiens, mon enseignement de l’histoire, tel que je le pratique et surtout les thèses que j’édifie sur cet enseignement bousculent une conception depuis bien longtemps établie de l’unitarisme racial et politique ; et par surcroît, mon nationalisme canadien d’essence heurte de front l’hystérie impérialiste. L’occasion opportune s’offre donc aux uns et aux autres de me faire payer au prix fort mes témérités.