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deuxième volume 1915-1920

chie à la chaux, du monticule où elle se dressait, du jardin potager à droite, de deux merisiers porteurs de petits fruits rouges, un de mes fruits favoris dans le temps. Quand j’y retournai plus de soixante ans plus tard, la maison était disparue ; il n’en restait plus qu’une excavation à demi envahie par l’herbe. Des deux merisiers, l’un n’avait plus laissé que sa souche ; l’autre était rompu à moitié ; la source mystérieuse au bas du monticule, où grand-mère m’envoyait chercher de l’eau, n’avait plus que la mine d’une petite mare stagnante. Voilà tout ce qui reste à l’homme de son enfance. Voilà aussi trop souvent ce qui reste des disparus. Mais il m’avait aussi semblé, ce jour-là, qu’alertés par mon pèlerinage, les fantômes de mes chers vieux volaient au-dessus de ma tête.

Je retournerai bien des fois au Long-Sault pour y accompagner touristes ou pèlerins. Aucun de ces voyages, je le répète, ne m’a fait oublier cet après-midi du 24 mai 1918. Ce jour-là, j’eus conscience d’une évocation si prenante que l’histoire m’apparut véritablement comme une résurrection possible.

Vacances à Vaudreuil

Je n’oublie point que j’ai intitulé ce chapitre de Mémoires : « Travaux et vacances de ce temps-là ». Avant de venir à cette seconde partie du chapitre, j’ai d’abord voulu rappeler en quelle fiévreuse activité ces quelques semaines de repos ou de demi-repos auront l’heur de s’insérer. Jusque vers 1912, sauf celles de 1910 que je vais passer aux États-Unis, à Central Falls, R.I., faire du ministère, mes vacances s’écoulent paisiblement dans la douce atmosphère de la maison paternelle des Chenaux de Vaudreuil, au milieu des paysages qui me sont chers. J’ai passé là toutes mes vacances d’écolier, reprenant avec tant de bonheur, mes habitudes de fils d’habitant. On m’eût payé cher pour aller flâner au village ou sur les grèves. Aussitôt arrivé à la maison, le premier soir des vacances et les premiers bonjours échangés, ma première question est celle-ci : « Où sont mes souliers de bœuf ? » Dès ce premier soir, je reprends mes habits de travail et je pars faire l’inspection de la ferme, renouer connaissance avec les bêtes,