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Page:Groulx - Mes mémoires tome I, 1970.djvu/381

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deuxième volume 1915-1920

j’écris ces Mémoires pour m’occuper, me délasser. Glanons encore des souvenirs. L’idée d’un roman à écrire m’est venue, un de ces jours, brusquement, sans préméditation, comme une de ces idées obsédantes qui ne laissent plus de cesse que vous ne vous en soyez délivré. L’idée m’assaille un de ces matins, dois-je l’avouer hélas, à l’église, alors que sur la banquette, j’écoute distraitement un sermon. En quelques instants, toute la trame, toute l’affabulation s’organise dans mon esprit. Je me sens en ébullition. La messe dite, je monte à ma chambre. Et aussi vite que ma plume peut courir sur le papier, j’écris le plan du roman, en lignes fiévreuses. J’ai l’impression de manier de la lave brûlante. On a voulu y voir un roman à clé. À l’origine, je ne vois rien de tel. Je ne vois que cet incurable besoin d’évasion, dont j’ai maintes fois parlé, besoin de m’écarter de la tâche trop austère, comme l’homme de la route rocailleuse et trop ensoleillée se laisse entraîner vers un sentier sous-bois, dans l’ombre accueillante. C’est le même besoin qui, aux vacances de 1921, m’invite à reprendre ma brève affabulation pour lui donner chair et sang, corps et vie. Cinq ans auparavant, c’est par manière de passetemps et pour récréer de jeunes scolastiques que j’ai écrit maints chapitres des Rapaillages. À Saint-Donat, c’est aussi pour me divertir et pour amuser la famille de mes hôtes de vacances que je commence à écrire L’Appel de la Race. À ce moment-là, l’abbé Lucien Pineault se trouve à L’Abitation. Je ne suis pas fâché de lui soumettre certains chapitres. Pour mon héros, Jules de Lantagnac, se posent d’assez graves cas de conscience.

Je ne touche point à mes matinées qui restent réservées à mes travaux d’histoire. L’après-midi ira au roman. Pour me trouver en parfaite tranquillité, je m’enferme dans ma chapelle, portes ouvertes, face au grandiose paysage. Et chaque jour, j’écris un chapitre. Le soir, tout notre petit monde réuni, je lis ce que j’ai ébauché. Et la discussion s’engage, souvent vive, chaude, sur tel ou tel détail, telle manière de faire parler ou de présenter mes personnages, sur la thèse de fond. Sur ce dernier point, l’abbé Pineault y va de toutes ses armes de théologien. Je défends la thèse de mon mieux, ne cédant que pied à pied où des nuances me paraissent s’imposer. Ah ! les belles soirées vécues ensemble sur la véranda, jusqu’à la nuit tombante, tandis qu’au loin, au