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deuxième volume 1915-1920

Je me rappelle, ce soir, que l’Action française a pu grandir, est devenue ce qu’elle est, en s’appuyant uniquement sur un petit groupe de collaborateurs qui, pour tous honoraires, acceptaient l’honneur de servir une belle cause. Et le souvenir dont je m’honorerai le plus, dans toute ma vie, sera d’avoir été associé à ces campagnes intellectuelles où l’élite de ma génération faisait gratuitement le service de l’intelligence.

Puis j’entre dans le cœur de mon sujet. De toutes parts, les « milieux militants de toute l’Amérique française », la jeunesse, attendent une direction, « direction d’un caractère très élevé, qui suffise à toutes les activités et qui les coordonne ». Nous avons désempanaché les politiciens, chefs d’hier. Les avons-nous remplacés ?

Au-dessus de tous les particularismes et de tous les groupes qui doivent subsister, une pensée commune ne pourrait-elle se constituer d’où se dégageraient les directives principales de notre vie publique ? Je me demande si l’avenir de l’Action française n’est pas de ce côté-là. Notre œuvre n’a rien dans son passé qui puisse alourdir sa marche en avant, qui lui ait fait ce manteau de préjugés si lourd à porter parfois par les œuvres les plus courageuses et les plus loyales. En outre, l’Action française a eu tôt fait de comprendre que la langue chez nous ne pouvait être ni défendue ni sauvée comme une force isolée. La langue fait elle-même partie d’un système de forces qui toutes doivent être préservées, sous peine de s’effondrer toutes ensemble. C’est pourquoi l’Action française s’est appliquée depuis quelques années surtout à donner de nos problèmes une vue totale. Elle a voulu appuyer parfois sur des points trop négligés, mais toujours en les ramenant à un ordre où chaque problème apparaissait à son rang et à sa valeur.

Mais comment assurer cette direction, ce retour à une communauté d’idées au moins relative ? Voici comme je pose alors le problème :

Je demande à ceux que nos problèmes d’avenir préoccupent si le temps n’est pas venu chez nous de former la coopérative de l’intelligence, d’organiser le travail de l’esprit ? Nous admettons que toutes les autres activités doivent se grouper, se coordonner pour se fortifier. L’admettons-nous pour les forces intellectuelles ? De tels groupements avec la vaste fin de servir dans l’harmonie toutes les causes de la foi et de la patrie ont été plutôt