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Page:Groulx - Mes mémoires tome I, 1970.djvu/47

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premier volume 1878-1915

psittacisme nous pourrissait l’esprit. Je n’en donnerai qu’un exemple. À Sainte-Thérèse, dans les quatre premières années du cours, à titre d’exercice de mémoire, l’on nous faisait apprendre l’entier fablier de La Fontaine. Chaque matin, c’était de tradition, la classe s’ouvrait par la récitation d’une fable. Pratique excellente pour peu que, la veille, le professeur se fût donné la peine de nous lire le petit poème intelligemment, une de ces lectures qui valent un commentaire. Encore aurait-il pu attirer notre attention sur le vocabulaire, nous en indiquer l’évolution depuis le dix-septième siècle, disserter rapidement sur la langue du fabuliste, si primesautière, si agile, si populaire, comparativement à la langue solennelle, aristocratique de Racine, de Bossuet. De cette récitation de fable, encore eût-on pu faire une leçon de diction, nous apprendre à parler tout naturellement. Hélas, c’était trop demander. On nous disait : « Demain vous réciterez Le Loup et l’Agneau ! » Et le lendemain l’on récitait Le Loup et l’Agneau, le plus recto tono du monde, sans pause ni aux virgules ni aux points, au rythme d’un dévidoir. Qui avait récité sans perdre souffle obtenait les points. Et l’exercice s’arrêtait là. « Demain, vous réciterez Le Loup et le Chien. » Et l’on passait à autre chose. Un matin donc, c’était jour de revue. Pour la circonstance, le professeur avait invité un nul autre personnage que le supérieur de la maison, l’abbé Antonin Nantel, esprit grincheux mais cultivé, exigeant, et qui ne se payait pas de mots. La revue débute, tout naturellement, par la récitation des fables. Un élève est debout, M. le Supérieur, qui a le livre dans les mains et qui fait mine de l’examiner, pose cette simple question : « Eh bien, mon enfant, qu’est-ce qu’une fable ? » Consternation du professeur ! Consternation non moindre des élèves. M. le Supérieur fait le tour de la classe. Tout le monde est collé. L’examinateur ne se tient pas pour découragé. Il ouvre de nouveau son livre et pose cette deuxième question : « Et ce La Fontaine, qui est-il ? » Nouvelle consternation. Au début du volume, l’éditeur avait bien inséré une notice biographique du fabuliste. Mais qui avait songé à la lire ? Ni les élèves, ni même le professeur.