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Notre Maître, Le Passé

d’autres transportés en Angleterre et en France ; des bandes entières périrent de faim ou de froid au fond des forêts ou y furent traquées comme des troupeaux de fauves ; un millier peut-être remonta jusqu’au Canada ; certains groupes s’en allèrent aux Antilles, à la Louisiane, à Belle-Isle-en-mer, dans le Poitou. En 1763, à la conclusion de la paix, 2,000 à peine demeuraient dans les trois provinces maritimes.

Je ne vous referai pas l’histoire des dures pérégrinations de ces bandes à travers l’exil. Ils ont jalonné toutes les routes du continent nord de la lugubre procession de leurs tombes. Mais le malheur n’a fait qu’ajouter à la splendide majesté de ce petit peuple. Vous connaissez l’Évangéline de Thomas Faed ; elle est assise au milieu d’un cimetière ; elle a gardé le costume de son pays ; avec une profonde nostalgie, elle regarde la mer où s’effacent des visions de voiles blanches. Cette Évangéline, c’est l’Acadie en exil. Quelque part que l’entraîne le hasard de la dispersion, la nation emporte avec elle toutes ses traditions, toute sa petite patrie ; elle passe au milieu des peuples sans rien prendre et sans rien perdre, poussée en avant toujours par une grande et suprême nostalgie, la nostalgie de la terre ancestrale où la forêt et l’océan se répondent dans leur éternelle rumeur.

Dès 1766, ils commencent de se rapprocher de leurs pays. Leurs terres leur ont été volées, ils en prennent d’autres. Ils sont maintenant près de deux cent mille dans les trois provinces du golfe ; ils sont solidement établis surtout dans le Nouveau-Brunswick, où, depuis Campbelton jusqu’à Memramcook, c’est un long ruban ininterrompu de terre française. Le temps approche peut-être, où, par une revanche pacifique, celle du travail, celle