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Un Geste d’Action Française

sa première apparition au parlement du Canada-Uni ; ce sera son premier discours.

En quelle langue va-t-il parler ? Il y a là une loi impériale qui a décrété la suppression du parler français. Il va porter la parole devant une chambre où siègent ceux-là mêmes qui ont pétitionné à Londres contre la langue du Québec et il est député de la province anglaise, et qui plus est, de Toronto. Le chef canadien-français qui sent peser sur lui le découragement de ses compatriotes, va-t-il consommer par une éclatante abdication, la mort de l’âme française ? Ah ! ce dut être dans la vie du jeune leader de Québec un instant dramatique à une époque où la politique s’alliait encore au patriotisme et à la conscience. Vous vous rappelez la scène pathétique de « Pour la Couronne » de François Coppée, où le poète convie autour de Michel Brancomir, le héros tenté de trahir, toutes les voix de l’honneur et du passé, toutes les prières de la patrie. J’aime à me représenter Hippolyte La Fontaine, à cette heure tragique de sa vie, écoutant monter autour de lui les mêmes voix solennelles et suppliantes : voix des hommes et des femmes héroïques qui ont fondé notre race et qui ont tant travaillé et tant souffert pour qu’elle vive ; voix des morts de Sainte-Foy qui nous ont prêché la revanche jusque dans la défaite ; voix des sublimes reconstructeurs des lendemains de 1760 ; voix des vieux parlementaires de 1792, premiers sauveurs politiques de la langue ; voix enfin de tout un peuple de 600.000 âmes, peuple de vertus françaises et catholiques, marqué au front du sceau des prédestinés, et qui malgré tout doit se sentir encore trop fort, trop jeune, avec un devoir trop beau, pour se résigner à mourir.