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Notre Maître, Le Passé

l’on se dit : « Si le fort est emporté, qu’adviendra-t-il de nous, sans logis, sans poudre, sans défense ? » Et la rivière monte, monte toujours, implacable.

Paul de Maisonneuve se souvint qu’il était le père de la petite bourgade française. Très simplement il fit le geste qu’on attendait de lui. Homme de foi avant tout, il conçoit l’idée de barrer le passage de l’inondation avec une croix. Les Pères approuvent le pieux projet. Mais puisque la vaillance et la foi sont vertus de la communauté à Ville-Marie, tous les colons s’unissent d’intention au fondateur. La croix de Maisonneuve se dresse bientôt, comme un rempart souverain, au bord de la rivière en révolte. Le chef de la petite colonie veut faire violence au ciel ; à genoux au pied de sa croix, il fait vœu, si la colonie est sauvée, d’aller porter l’étendard au sommet du Mont-Royal.

La foi fit son œuvre. La rivière Saint-Pierre continua son ascension menaçante ; elle alla lécher les palissades, mais s’arrêta au seuil du fort. Après quelques heures, domptée et pacifiée, la rivière rentrait dans son lit.

Le jour de l’Épiphanie, Maisonneuve se mit en voie d’exécuter son vœu. Le fondateur de Ville-Marie avait dans l’âme plus que la trempe du chevalier, il avait celle du croisé. Il faut reconnaître qu’il fut un merveilleux éducateur de peuple. Sa préoccupation la plus constante paraît être d’augmenter le capital de foi de ce petit peuple au berceau. Chaque jour et surtout aux circonstances graves, conscient de son rôle de chef, de Maisonneuve veut agir au plus parfait et agrandir ses actes jusqu’aux dernières dimensions surnaturelles. Voici qu’il médite d’ajouter à l’exécution de son vœu un acte de la signification la plus haute. Le 6 janvier 1648, se déroula dans la