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Monseigneur Taché

Le même contraste, le même équilibre inattendu apparaîtra dans les qualités morales de l’homme. Ce que l’on aperçoit d’abord en lui, c’est une sensibilité facile à l’émotion, prompte aux larmes. Des larmes, il en verse sur chaque lettre de sa mère, au simple souvenir du vieux manoir, à la vue des clochers de sa ville qu’il retrouve après une absence. Il faut lire, dans « Vingt années de missions », cette page où le jeune missionnaire, sur le point de quitter pour la première fois les eaux qui se déversent dans le Saint-Laurent, raconte l’émotion qui le saisit : « Nous arrivions à l’une des sources du Saint-Laurent ; nous allions laisser le grand fleuve sur les bords duquel la Providence a placé mon berceau, sur les eaux duquel j’eus la première pensée de me faire missionnaire de la Rivière-Rouge. Je bus de cette eau pour la dernière fois, j’y mêlai quelques larmes et lui confiai quelques-unes de mes pensées les plus intimes. Il me semblait que quelques gouttes de cette onde limpide, après avoir traversé la chaîne de nos grands lacs, irait battre la plage près de laquelle une mère bien-aimée priait pour son fils, pour qu’il fût un bon Oblat, un saint missionnaire ».

Mais voici que ce tendre sera en même temps le rude apôtre des régions glacées, le héros à la volonté de fer qu’un entêtement sublime fera courir vingt fois au devant de la mort. Pendant vingt-cinq ans, dans la mêlée des hommes, il sera le lutteur de la justice, l’athlète indomptable ; et, de plein pied, par le relief de son caractère, il prend place parmi les plus fiers évêques de la tradition chrétienne.


Tel était bien, dans la vérité de son âme, le jeune séminariste qui, en l’année 1844, entrait,