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La découverte du Mississipi[1]



Un jour, il y a de cela deux cent cinquante ans, deux canots d’écorce quittaient Michilimakinac, au sommet du lac Michigan, et se dirigeaient vers la baie des Puants. Dans l’un des canots se trouvait un homme encore jeune, d’environ trente-six ans, couvert d’un large feutre, habillé d’une soutane de drap noir, fermée au col par une agrafe et à la hauteur des genoux par une couture solide. Cet homme ne trouvait pas assez vaste, pour ses ambitions d’apôtre, les horizons du lac Supérieur, non plus que ceux du grand lac des Illinois. À peine avait-il touché une rive que, sur l’autre, un homme paraissait lui faire signe et lui dire comme à saint Paul sur les rivages de Troas : « Passe de l’autre côté, et viens à notre secours ! »

Dans le même canot avait pris place un tout jeune homme, de mine intelligente et décidée, portant le costume des coureurs de bois : amples culottes de peau de chevreuil, juste-au-corps en peau de buffle, le tout solidement cousu avec des fils de boyaux de chats sauvages. Celui-ci, qui est un fils du Canada, s’est senti, dès son temps de collège, la poitrine oppressée par l’étroite atmosphère de sa ville de Québec ; il n’avait pas vingt-deux ans que déjà il traversait la grande eau pour un voyage en France ; de retour au pays l’année suivante, il prenait place parmi ces hommes au cœur d’acier et au poignet de frêne qui, l’aviron à la main et pour l’honneur de la France, couraient alors les grandes routes du continent.

  1. Discours prononcé à la salle du Gésu, Montréal, le 23 Mai 1923.