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LE SURVENANT

jour de l’an ainsi qu’aux compliments d’usage et aux doux baisers. De belle humeur, il ne semblait pas s’apercevoir de leurs petits manèges. Avec plusieurs jeunes il prit place à la deuxième tablée. Angélina refusa d’en être :

— J’aime mieux servir. Je prendrai une bouchée tantôt.

Chaque fois qu’elle passait près du Survenant, il lui réclamait son assiette. Il n’avait pas mangé depuis la veille et les verres de petit-blanc lui faisaient vite effet.

— Espérez ! lui répondait à tout coup l’infirme, comme incapable de trouver autre chose.

Il s’impatienta et voulut se lever, mais on le fit rasseoir :

— Pas de passe-droit. Tu mangeras à ton tour. T’es pas à l’agonie ? Et sois pas en peine du manger : il y en a tout un chaland.

— Je vous avertis que je mange comme un gargantua.

— Gar-gan-tua !

À leurs oreilles étonnées le mot prit le son d’une plaisanterie. Ils pouffèrent de rire. Mais Odilon Provençal s’en trouva presque mortifié :

— Parle donc le langage d’un homme, Survenant. Un gargantua ! T’es pas avec tes sauvages par icitte : t’es parmi le monde !