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LE SURVENANT

Marie-Amanda pleurait à son tour. De son corsage elle aveignit un large mouchoir éblouissant de blancheur, le tendit d’un coup sec comme la voile d’une barque et, avec la sollicitude qu’elle apportait à toutes choses, essuya son beau visage, d’ordinaire si serein, maintenant ruisselant de pleurs.

— Écoute, Angélina…

Longtemps elle parla, tâchant, de ses paroles toutes de patience et de sagesse, de dénouer les liens enserrant le cœur de l’infirme. Mais à tout instant celle-ci se rebellait :

— On voit ben que t’as jamais connu de peine d’amour…

— Tu penses ça ? Dans le temps que mon Ludger naviguait, que je voyais pas jour qu’il débarquerait pour tout de bon, — il se disait tanné d’être navigateur de fosset et il voulait à tout prix s’en aller à l’eau salée, et puis il restait des semaines et des semaines sans répondre à mes lettres, — les soirs que je me suis couchée, une angoisse au cœur, je pourrais pas les compter. Dans ce temps-là, je priais à toute reste, je m’endormais sur mon chapelet. Et souvent ce qui m’avait paru une montagne, le soir, c’était plus que de la grosseur d’une tête d’épingle, le lendemain matin. Seulement il faut prier et faut se raisonner…