Page:Guillard - Étude sur les drames consacrés à Jeanne d’Arc, 1844.djvu/11

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presse de ses cris l’assassinat de la Pucelle d’Orléans ; c’est outrager à la fois la vérité[1] et le sentiment national ; et cette aberration ne peut s’expliquer que par un désir excessif de ménager l’amour-propre britannique. Toutefois la principale cause du succès incomplet qu’ont eu ces drames, qui auraient dû rester sur nos théâtres et qui y sont oubliés, c’est, si je ne me trompe, l’absence du pathétique. Quel sujet pourtant y prêtait davantage, que ce sanglant holocauste d’une jeune fille belle, pure, simple, glorieuse, immolée à une implacable vengeance. Mais la première condition du pathétique, Horace l’a clairement posée :


« . . . . . . . Si vis me flere, dolendum est
« Primùm ipsi tibi.
« Si l’on rit, je vais rire, et pleurer si l’on pleure[2]. »


Or nos tragiques ne pleurent point sur Jeanne d’Arc ; ce n’est pas de la pitié, c’est de l’admiration qu’ils ont et veulent exciter pour elle. La première source d’émotion qu’offre le sujet, c’est cet affreux contraste entre le caractère de la jeune fille et son sort ; et les poètes, dont nous analysons les œuvres, ne semblent pas avoir compris ce caractère.

Schiller fait de Jeanne d’Arc une fanatique, que ses parents même croient possédés du démon ; une orgueilleuse qui se dit prophétesse et se laisse appeler par un archevêque étonnante et sainte fille, qui fait la leçon à son roi, lui enlève la parole et se déclare son sauveur ; qui se rend perpétuellement témoignage à elle-même : au combat c’est une furie avide de sang, impitoyable, et qui attribue sa rigueur inexorable à l’ordre de la Vierges des vierges ! Ce n’est pas là Jeanne d’Arc ; c’est Mahomet en robe. Elle ne redevient femme que lorsque son cœur n’est plus le sanctuaire voué à Dieu seul. On ne peut nier que ce caractère, tracé de main de maître, ne soit éminemment tra-

  1. « La populace accabla l’évêque Cauchon d’injures, et le poursuivit à coups de pierres (Biogr. univ. vii, 427.)
  2. Epître aux Pisons, traduction de J.-J. Porchat.