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Page:Guillaumin - La Vie d’un simple, 1904.djvu/307

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trouvais rien à lui dire, tellement je comprenais que le désespoir ancré dans son cœur était aussi incurable que le chancre qui lui rongeait la figure.


LV


Après dix ans, mes enfants quittèrent le domaine de M. Fauconnet, ne pouvant plus s’entendre avec lui. En vieillissant, le docteur devenait maniaque, grincheux, tyrannique. Il n’était plus député : on l’avait trouvé trop âgé et son républicanisme avait paru trop déteint. Car l’ancien rouge sang-de-bœuf n’était plus qu’un pâle rose. Il était pour l’ordre et la propriété, et vouait aux socialistes une haine implacable. Il imitait quasi M. Noris dont il s’était tant moqué jadis : le cri de « Vive la sociale » le rendait pourpre et le faisait se fâcher.

La dernière année que mes garçons furent chez lui, ils eurent la machine un jour de grande chaleur et, sur les batteurs exténués, soufflait un vent de révolte. Le docteur étant venu les voir vers trois heures de l’après-midi, au moment le plus pénible, un jeune domestique juché sur une meule lança pour le narguer un : « Vive la sociale » bien formulé ; et d’autres y répondirent. M. Fauconnet regarda les criards à tour de rôle, avec l’intention de se fâcher. Mais voyant qu’ils étaient trop, que sa puissance était impuissante à réprimer cette irrévérence à son adresse, il refréna sa colère, s’en fut seulement trouver le Jean auquel il enjoignit de ne pas tolérer ce cri. C’est ainsi qu’agissent généralement tous les détenteurs d’autorité quand ils ne sont plus