Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/144

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On voyait, dans un appartement élevé, des flammes qui brûlaient quelques liasses de papiers.

Giacomo prit une échelle, l’appuya contre la muraille noircie et chancelante, l’échelle tremblait sous ses pas, il monta en courant, arriva à cette fenêtre. Malédiction ! ce n’était que quelques vieux livres de librairie, sans valeur, ni mérite. Que faire ? il était entré, il fallait ou avancer au milieu de cette atmosphère enflammée ou redescendre par l’échelle dont le bois commençait à s’échauffer. Non ! il avança.

Il traversa plusieurs salles, le plancher tremblait sous ses pas, les portes tombaient lorsqu’il en approchait, les solives se pendaient sur sa tête, il courait au milieu de l’incendie, haletant et furieux.

Il lui fallait ce livre ! il le lui fallait ou la mort !

Il ne savait où diriger sa course, mais il courait.

Enfin il arriva devant une cloison qui était intacte, il la brisa avec un coup de pied et vit un appartement obscur et étroit ; il tâtonnait, sentit quelques livres sous ses doigts, il en toucha un, le prit et l’emporta hors de cette salle. C’était lui ! lui, le Mystère de saint Michel ! Il retourna sur ses pas, comme un homme éperdu et en délire, il sauta par-dessus les trous, il volait dans la flamme, mais il ne retrouva point l’échelle qu’il avait dressée contre le mur ; il arriva à une fenêtre et descendit en dehors, se cramponnant avec les mains et les genoux aux sinuosités, ses vêtements commençaient à s’enflammer, et, lorsqu’il arriva dans la rue, il se roula dans le ruisseau pour éteindre les flammes qui le brûlaient.

Quelques mois se passèrent, et l’on n’entendait plus parler du libraire Giacomo, si ce n’est comme un de ces hommes singuliers et étranges, dont la multitude rit dans les rues parce qu’elle ne comprend point leurs passions et leurs manies.

L’Espagne était occupée d’intérêts plus graves et plus sérieux. Un mauvais génie semblait peser sur