Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, I.djvu/153

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portaient le cercueil dont le drap noir se blanchissait de neige ; les enfants aux têtes blondes suivaient par derrière, silencieux et étonnés ; les prêtres chantaient tout bas, car les larmes couvraient leurs voix.

Un ami suivait le mort dans sa tombe, mais celui-là, sa douleur était profonde et triste, plus désespérée et plus certaine que celle de tous ces hommes ; celui-là était-ce une femme ? un enfant ? une maîtresse ? un ami ? Non ! c’était un chien, le pauvre Fox, marchant la tête baissée, suivant son maître avec des cris plaintifs et des larmes aussi grosses que celles d’un homme.

Le cimetière était à mi-côte, le chemin était glissant et boueux, on n’entendait que le pas des prêtres et des hommes dont les gros souliers ferrés s’enfonçaient dans la boue ; puis le chant des morts, la neige qui tombait, la pluie qui roulait dans les ornières et le vent qui agitait le drap du cercueil.

Enfin on creusa la terre, on y déposa le coffre avec quelques prières et pour l’éternité, le fossoyeur jeta dessus quelques pelletées de terre, qui résonnèrent sur le bois de chêne en rendant un son vide et creux.

On se sépara, la grille de fer résonna dans ses gonds, et le cimetière redevint silencieux et paisible.

De tous les amis du convoi, un seul était resté, Fox, couché sur la terre et regardant avec tristesse les bougies vacillantes qui s’éloignaient dans le brouillard, et ces longs vêtements noirs qui s’abaissaient lentement et comme des ombres, dans la vallée brumeuse.

La nuit arriva bientôt, belle et blanche de sa lune, dont la lueur mélancolique s’abattait sur les tombes comme le doute sur le mourant.

M. Ohmlin dormait toujours d’un sommeil lourd et pesant ; il rêvait et c’étaient des songes beaux d’illusions, voluptueux d’amour et d’enchantements. Il rêvait l’Orient ! l’Orient, avec son soleil brûlant, son ciel bleu, ses minarets dorés, ses pagodes de pierre ;