Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, II.djvu/161

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ration toujours conduite et retenue, inspiration intime et qui palpite bien plus dans le cœur de l’artiste qu’elle ne s’étale complaisamment aux yeux du spectateur ; et de ce jeu si varié, si nuancé, où tant de qualités éclatantes font trait, saillissent à l’œil et nous prennent d’admiration, de cette poésie dramatique où chaque hémistiche a son accent particulier, il en résulte néanmoins quelque chose d’harmonieux, de complexe et d’exquis ; on se laisse aller à un étonnement mêlé d’extase, qui va droit au cœur, sans fracas et sans éblouissement, et vous êtes captivé, charmé, même aux gestes les plus simples, même aux mots les plus ordinaires.

C’est que Mlle Rachel, quoi qu’on en dise, étudie son rôle comme une création à elle, en synthèse d’abord, puis chez le poète, dans chaque vers, et qu’elle en est pénétrée et nourrie ; elle a cette large vue de l’ensemble qui seule fait le grand artiste et qui manque quelquefois aux natures les plus inspirées et les plus remarquables. Il ne suffit pas en effet d’avoir certains vers bien dits, du pathétique pour le cinquième acte, de la mélancolie à telle place, de la terreur à telle autre ; si vous n’avez pas cette intuition pratique qui saisit à la fois l’ensemble et les détails, ce sentiment délicat et vivace de l’unité et de la correction continue, vous aurez de beaux éclats, des situations heureuses, des étincelles, c’est possible, mais jamais ce feu sacré qui brûle, cette correction exquise qui à elle seule est déjà du génie, et qui pour Mlle Rachel est bien ce qu’en disait Vauvenargues, le Vernis des maîtres.

L’avons-nous vue, dans tous les rôles qu’elle nous a joués, descendre un seul instant de sa majesté poétique ? l’avons-nous vue quelquefois se rabaisser à la vie commune et quitter sa sphère idéale ? Jamais ! jamais ! parce qu’elle ne joue pas pour nous, mais parce qu’elle vit réellement, parce que son cœur