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ROME ET LES CÉSARS[1].

Vu à travers le prisme que jette toujours une société évanouie, l’Empire romain nous apparaît encore comme le plus monstrueux phénomène de la puissance des hommes. Après avoir, dans l’antiquité, conquis matériellement le monde, après l’avoir dominé par ses croyances au moyen âge, nous le retrouvons encore enseveli sous sa vieille poussière et murmurant son éternelle douleur. Il n’a plus à craindre pourtant la torche d’Alaric, ou le coup de pied du cheval barbare d’Attila ; on ne peut plus lui arracher ses provinces dispersées, et il n’a plus d’empereur qui réunisse dans sa main les nations assemblées sous le joug, car le moyen âge l’a battu en brèche, il lui a arraché sa gloire pierre à pierre, lui a substitué la sienne, a chassé Jupiter de Rome et y a fait entrer Jésus-Christ, les martyrs du christianisme ont remplacé ses héros.

Sacerdotale et liturgique sous les Étrusques, matérialiste et guerrière sous les Romains, spiritualiste et artistique sous les papes, que va-t-elle maintenant devenir ? et depuis le xvie siècle qu’a-t-elle fait ? Après avoir été la ruine des choses passées, sera-t-elle aussi éternellement la ruine de toute croyance, de toute foi, de tout amour ? restera-t-elle gisante au milieu des deux océans, entre l’Orient et l’Occident, reniée de sa mère, oubliée de sa fille ?

Hélas ! malgré sa sainteté, ses martyrs, ses papes, toute sa gloire chrétienne et toutes les splendeurs de

  1. Août 1839.