Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/124

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comme une feuille qui vole au vent tant que l’air la soutient, comme la pierre jetée, qui descend jusqu’à ce qu’elle trouve le fond, machine humaine qui verse des larmes et secrète des douleurs, chose inerte qui se trouve là sans cause, créée par une force incompréhensible et qui ne comprend rien à elle-même.

« La vie est bonne pour ceux qui ont une passion à satisfaire, un but à atteindre, mais moi, quelle passion veux-tu que j’aie ? donne-m’en une ; quel but puis-je viser ? montre-m’en un, tout cela est une absurdité horrible, une furie insipide, mêlée d’angoisses.

« Je le garderai, le sachet que tu m’as donné ; si je meurs, tu diras qu’on m’enterre avec lui, qu’on me l’attache sur la poitrine, avec ces longs rubans qui devaient être noués et dénoués chaque jour par des mains plus joyeuses ; je veux que ce satin parfumé me préserve le cœur du contact du linceul, cela me tiendra chaud dans mon sommeil. »

Mme Émilie entra, Henry la fit asseoir sur ses genoux, et ils passèrent une heure à se dire qu’ils s’aimaient et qu’ils étaient heureux.

XVIII

Puisqu’ils se croyaient heureux, ils l’étaient en effet, le bonheur ne dépendant que de l’idée qu’on s’en forme. Celui qui le place dans une belle paire de bottes doit être ravi quand ses moyens lui permettent d’en acheter une à l’écuyère, et le pêcheur à la ligne remercie le ciel, sans doute, lorsque, guettant un brochet, il attrape une truite.

J’ai connu un pauvre diable qui vivait d’aumônes, au bord d’un grand chemin ; il couchait dans une