Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/126

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Henry descendait au jardin pour lire, et il trouvait Mme Émilie qui y était venue par hasard ; ou bien Mme Émilie prenait son ouvrage pour aller coudre sous la tonnelle, et Henry, tout à coup sortant de derrière un arbre, la faisait tressaillir. Ces petits événements étaient pour eux de grandes aventures.

Pour elle, Henry était toujours fort et beau, elle admirait l’air superbe de sa tête ; pour lui, elle était toujours exquise et belle, il adorait le feu humide de son doux regard. C’était un inépuisable besoin d’eux-mêmes, qui se renouvelait en s’assouvissant, qui renaissait sans cesse, qui n’avait ni fin ni trêve, qui augmentait toujours.

Elle lui prodiguait chaque jour mille trésors d’amour toujours nouveaux. Tantôt c’étaient d’adorables langueurs, où tout son cœur se fondait, ou bien d’âcres déchirements, pleins d’une douleur joyeuse qui tourne au délire ; quelquefois elle avait des morsures chaudes, où l’émail de ses dents blanches, s’appuyant sur la chair de son amant, claquait avec la férocité de la Vénus antique, tandis que sa main, onctueuse et toujours caressante, lui semait sous la peau d’ardents effluves à réveiller les morts, d’irrésistibles désirs où l’on vendrait son père pour sentir une seconde le contact d’un ongle ; la nuit, étouffant leurs cris de peur d’être entendus, et elle-même se fermant la bouche avec son bras, se tordait en convulsions, éclatait tout à coup en rires et en sanglots, et le couvrait de baisers voraces ; puis, calme tout à coup et l’appelant par des mots égarés, relevant sa tête en sueur, elle le contemplait avec ses yeux fixes, enflammés comme des flambeaux.

Une autre fois, c’était en rentrant de quelque visite, encore toute habillée, avec son grand chapeau à plume blanche qui se remuait toujours, ses gants justes qui lui serraient le poignet, sa chaussure mince et vernie, sa robe qui balayait le sol et soulevait un