Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/131

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boirait dans son verre pendant tout un dîner, ce qu’elle exécuta à la barbe de son mari, qui ne s’aperçut de rien du tout, tout occupé qu’il était à raconter une histoire facétieuse.

Elle s’amusait beaucoup à ces sortes d’outrages déguisés. Ainsi, parlait-on de deux choses, peu importe lesquelles pourvu qu’on pût établir entre elles une comparaison ou un rapprochement quelconque, elle prenait de suite la parole et paraphrasait le sujet de la conversation, d’une manière un peu obscure pour les autres, il est vrai, mais fort claire pour Henry, si louangeuse pour lui, si dégradante pour M. Renaud que notre héros lui-même en était quelquefois tout scandalisé et tout émerveillé.

Comme il eût été mal reçu et durement mené, ce pauvre mari, s’il se fût avisé seulement d’observer tout haut que la lumière de la chambre d’Henry s’éteignait le soir de bien meilleure heure que par le passé, tandis que celle de Mme Renaud restait allumée fort tard ; ou encore s’il eût dit que, la nuit, les portes criaient depuis quelque temps avec un miaulement affreux ! Mais il s’endormait trop tôt et ronflait trop fort pour y prendre garde. Peste ! il n’y aurait pas fait bon !

Dans les premiers temps de leur ménage, à l’occasion d’une femme de chambre à laquelle il avait donné un foulard le jour de sa fête, elle lui avait fait des scènes épouvantables, à ruiner son pensionnat si jamais elles se renouvelaient. Puis, à vrai dire, il ne pensait guère à la vertu de sa femme, à ce qu’elle en eût ou n’en eût pas ; pourvu qu’elle tînt bien son ménage et flattât les parents de ses élèves par ses cajoleries maternelles, pourvu qu’on lui donnât, tous les matins, ses chaussons de Strasbourg et le soir, avant de se coucher, son invariable tasse de tisane, pourvu qu’on fût content de l’assaisonnement qu’il faisait à la salade et des calembours qu’il débitait au