Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/84

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les bandeaux moins lisses, les dessous de jupe un peu foulés et tous les gants salis.

Ah ! qu’il fait bon valser à cette heure-là, quand les vieilles femmes sont parties, quand on court sur le parquet glissant, entraînant dans ses bras sa danseuse fatiguée, froissant ses dentelles, humant sa chevelure, toujours tournoyant dans les glaces, sous le feu des lustres, jusqu’à ce qu’un doux malaise vous gagne à regarder ces yeux constamment briller sous les vôtres, à sentir ce même mouvement régulier vous faire palpiter d’accord, dans cette atmosphère toute chaude d’émanations féminines et de fleurs fanées ! c’est là souvent que l’amour commence et que le mal de cœur arrive.

— Valsez donc, disait tout bas Mme Émilie à Henry.

— Mais je ne sais pas, lui répondait-il.

— Vous mentez, disait-elle, essayez toujours… Oh ! je vous en prie, avec moi… me refuserez-vous ?

Mlle Aglaé jouait une mazurka impétueuse, Ternande enleva Mme Lenoir, Mendès avait déjà saisi Mme Dubois, le jeune homme au lorgnon avait été agréé par Mme Émilie, qui valsait à ravir. Chaque fois qu’elle passait devant Henry, sa robe lui effleurait les jambes, le satin soyeux s’accrochait presque au drap de son pantalon, et il attendait qu’elle repassât devant lui, avec une anxiété infinie.

Elle se rassit.

— Est-ce que vous n’essaierez pas ? lui dit-elle.

— Vous savez bien que je ne peux pas.

— Peut qui veut.

— Il y a encore trop de monde, d’ailleurs.

— Ce n’est alors que la vanité qui vous en empêche, je ne vous croyais pas si fat.

— La vanité ! oh non, mais…

Ternande vint prendre la main de Mme Émilie et ils partirent ensemble. Cette fois-ci elle passait plus rapidement encore ; Henry, toujours à la même place,