Page:Gustave Flaubert - Œuvres de jeunesse, III.djvu/94

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

zone, Mme Émilie dissertait sur les mariages de convenance et les mariages d’inclination, avec le beau dandy assis à ses pieds sur une chaise basse ; elle continua son entretien, jetant à peine un coup d’œil sur Henry, et clignant les yeux si fort que les prunelles en étaient cachées et les cils rapprochés les uns contre les autres.

Ne sachant que faire, on joua aux cartes, il n’y joua pas ; on s’amusa beaucoup, il s’ennuya.

Comme la pluie tombait toujours, ces dames demandèrent des fiacres pour s’en retourner, on les attendit longtemps, et pendant tout ce temps-là Mme Renaud, capricieuse et boudeuse, accusa Henry de ce retard ; elle le tourmenta, le tortura, le déchira, il ne savait ni que dire ni que faire, la rage et l’amour le déchiraient à l’envi, il eût voulu battre quelqu’un, il souhaitait des périls subits pour s’y élancer de suite, des sacrifices à accomplir, des choses sublimes à faire pour les humilier tous ; mais il n’arriva rien d’extraordinaire qui pût le grandir aux yeux de celle qu’il aimait.

Le hasard voulut encore que Mendès, Alvarès montassent dans la même voiture que lui, étant seuls avec Henry, car Mme Dubois et Mlle Aglaé voulaient rentrer au plus vite chez elles, et Mme Émilie les accompagnait dans l’autre fiacre, avec Ternande et l’autre jeune homme toujours assidu auprès d’elle. Ces estimables enfants de la Lusitanie épanchèrent donc dans le sein l’un de l’autre les joies de leurs cœurs ; ils se frottaient les mains, parlaient vite, soupiraient, gesticulaient, levaient les yeux au ciel et chantaient en souriant.

— Elle m’a dit : « Certes je me souviendrai de vous longtemps », disait Alvarès.

— Elle m’a dit : « Comme vous avez les cheveux noirs ! », disait Mendès.

— Quelle taille ! reprenait Alvarès.

— Quelle gorge ! répondait Mendès.