Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/376

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la courtisane
reprend.

As-tu mis l’onguent de Délos dans les boîtes de plomb ? et mes sandales de Patara dans le sachet pour la poudre d’iris ?

lampito.

Oui, maîtresse. Voici encore la lysimachia pour les cheveux, les œufs de fourmis pour les sourcils, et les racines d’acanthe pour le visage.

la courtisane.

Cache au fond, sous mes robes de Sybaris, les planchettes de sapin qui resserrent la taille ; n’oublie pas non plus le calcul d’onagre que m’a vendu le mage, ni l’ecbolada d’Égypte qui prévient les accouchements.

lampito.

Ah ! Maîtresse, je ne te reverrai donc plus !

Elle pleure.
la courtisane.

Mets encore tout ce que j’ai de nard, de rhodinum, de safran et d’huiles d’amandes, surtout, car là-bas, m’a-t-on dit, elles sont mauvaises. Puisqu’il a juré de m’emmener, depuis ce jour où il s’aperçut au réveil que sa barbe sentait bon pour avoir dormi la nuit la tête sur ma poitrine, je dois faire que toujours mon corps transpire de molles odeurs.

lampito.

Il est donc bien riche, ô maîtresse, ce roi de Pergame ?

la courtisane.

Oui, Lampito, il est riche. Il faut songer à l’avenir, je ne veux pas, quand je serai vieille, aller mendier chez mes amants d’autrefois de la saumure et du pain, devenir la complaisante des matelots. Dans cinq ans, dans dix ans, j’aurai beaucoup d’argent, Lampito ; je reviendrai, et si je ne puis comme Phryné faire relever les murs de Thèbes, comme Lamia bâtir un portique à Sicyone, ou comme Cleiné la joueuse de flûte, garnir la Grèce de mes statues d’airain, j’aurai, je l’espère, de quoi nourrir rien