Je fus petit poisson, mais j’ai grandi ; il n’y avait pas de vase assez large pour me contenir, j’emplissais la mer : j’ai plongé, j’ai remis à flot la montagne noyée, et sur mon dos de tortue j’ai porté le monde. De mes défenses de sanglier, j’ai éventré le géant, je suis devenu lion pour boire le sang d’un second, je suis devenu nain pour détrôner un troisième, et, me développant tout à coup, en trois pas j’ai mesuré l’univers. Et ce n’est pas tout ! j’ai été brahmane, j’ai créé de nouveaux rivages ; puis j’ai été guerrier, laboureur ; avec un soc de charrue j’ai exterminé un monstre à mille bras ; j’ai fait beaucoup de choses, des choses difficiles, prodigieuses, j’ai vécu des existences innombrables, j’ai vu se succéder des créations infinies ; elles passaient, moi je durais, et comme l’Océan qui reçoit tous les fleuves sans en devenir plus gros, j’absorbais les siècles.
Je dois revenir un jour, monté sur un coursier blanc, avec un glaive qui sera la queue d’une comète ; je punirai les actions, j’exterminerai les êtres, et la terre, se crevant sous mes pieds, se dissipera en poussière comme la cosse du lycopodium quand on marche dessus.
Qu’est-ce donc ? est-ce l’heure ? tout chancelle autour de moi ! où suis-je ? que suis-je ? faut-il prendre une tête de serpent ?
Ah ! plutôt la queue de poisson qui battait les flots !
Si j’avais la figure du solitaire ?
Eh non ! c’est la crinière du cheval qu’il me faut ?
Hennissons ! levons le pied ! Oh ! le lion !
Oh ! mes défenses !
Toutes mes formes tourbillonnent à la fois, paraissent,