Page:Gustave Flaubert - La Tentation de Saint-Antoine.djvu/587

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ailes, des pattes de vautour et une immense queue de paon, qu’il étale en rond derrière lui. Il saisit dans son bec le parasol de la reine, chancelle un peu avant de prendre son aplomb, puis hérisse toutes ses plumes et demeure immobile.

Merci, beau Simorg-anka ! toi qui m’as appris où se cachait l’amoureux. Merci ! merci ! messager de mon cœur !

Il vole comme le désir. Il fait le tour du monde dans sa journée. Le soir, il revient, il se pose aux pieds de ma couche ; il me raconte ce qu’il a vu ; les mers qui ont passé sous lui avec les poissons et les navires, les grands déserts vides qu’il a contemplés du haut des cieux, et toutes les moissons qui se courbaient dans la campagne, et les plantes qui poussaient sur le mur des villes abandonnées.

Elle passe langoureusement ses bras au cou de saint Antoine.

Oh ! si tu voulais ! si tu voulais… J’ai un pavillon sur un promontoire, au milieu d’un isthme, entre deux océans. Il est lambrissé de plaques de verre, parqueté d’écailles de tortue, et s’ouvre aux quatre vents du ciel.

D’en haut, je vois revenir mes flottes et les peuples qui montent la colline avec des fardeaux sur l’épaule. Nous dormirions sur des duvets plus mous que des nuées, nous boirions des boissons froides dans des écorces de fruits, et nous regarderions le soleil à travers des émeraudes ! Viens !

Le Simorg-anka fait tourner comme des roues les yeux scintillants de sa queue, et la Reine de Saba soupire :

Mais je meurs ! je meurs !

Antoine baisse la tête.

Ah ! tu me dédaignes !… adieu !

Elle s’éloigne en pleurant. Le cortège se met en marche ; Antoine la regarde ; elle s’arrête.

Bien sûr ?… Une femme si belle ! qui a un bouquet de poil entre les seins !

Elle rit. Le singe qui tient le bout de sa robe la soulève à bras tendus, en bondissant.

Tu te repentiras, bel ermite ! tu gémiras, tu t’ennuieras. Mais je m’en moque ! la ! la ! la !… Oh ! oh !… Oh ! oh !

Elle s’en va, la figure dans les mains, en sautillant à cloche-pied. Les esclaves défilent devant saint Antoine, les chevaux, les dromadaires, l’éléphant, les suivantes, les mulets qu’on a rechargés,