Page:Gustave Flaubert - Trois contes.djvu/235

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l’unique raison qu’elle devait être faite. Il serait puéril de dire que l’auteur de Madame Bovary devrait être à l’Académie ; mais ce qu’on peut affirmer avec raison, c’est que l’Académie devrait être à l’auteur de Madame Bovary. S’il est vrai que dans un élan spontané de justice elle soit allée au-devant d’un de ses membres les plus célèbres, récemment élu, ne devrait-elle pas aller en corps chercher M. Gustave Flaubert, et étendre sous ses pas un tapis de pourpre ? Mais ce sont là ses affaires et non les miennes ; pour moi je me contente de faire comme tout le monde, d’admirer passionnément : Un Cœur simple, La Légende de Saint Julien l’Hospitalier et Hérodias, et de remercier avec la reconnaissance la plus émue et la plus fière, l’homme qui m’a donné une telle joie.

Je le sais bien, il est difficile de s’habituer à cette idée que ces grands créateurs sont nos contemporains, qu’on les touche, qu’on leur parle et qu’il faut s’incliner devant leur pensée souveraine, sans avoir la satisfaction de les savoir morts et solidement cloués sous la lame ; mais enfin il faut en prendre son parti, comme de beaucoup d’autres incommodités. Étonnamment variés, car ils parcourent tout le cercle des âges, les Trois Contes qui mettent en scène, l’un une pauvre servante de Pont-l’Évêque, à moitié idiote, l’autre un chasseur qui devient héros, puis saint, et fut enlevé dans le ciel, le troisième, cette Salomé qui tient dans ses mains la tête de Jean-Baptiste et que les poètes adorent à jamais, ne sont pas cependant des contes détachés ; ils sont unis au contraire par un lien étroit, qui est l’exaltation de la charité, de la bonté inconsciente et surnaturelle. La Judée, au temps de Tibère, le monde romain sont évoqués avec une impérieuse et victorieuse magie dans Hérodias ; mais ne sont-ce pas des jeux pour le poète de Salammbô ? Des tableaux éclatants d’une couleur harmonieuse comme des Delacroix, et voluptueusement douloureux, des scènes qui resteront dans la pensée éternellement, comme celle où après avoir vu sa femelle et son faon inexorablement tués par Julien, le cerf, portant encore fichée dans son front la flèche du féroce chasseur, trouve une voix humaine pour le maudire, et comme celle où, après avoir réchauffé sur son sein et sur ses lèvres le lépreux hideux, Julien le voit se