Page:Guy de Maupassant - Clair de lune.djvu/111

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taire et désespéré, rongé par la douleur, si misérable qu’il ne pensait qu’au suicide.

« — Puisque je te retrouve ainsi, me dit-il, je te demanderai de me rendre un grand service, c’est d’aller chercher chez moi dans le secrétaire de ma chambre, de notre chambre, quelques papiers dont j’ai un urgent besoin. Je ne puis charger de ce soin un subalterne ou un homme d’affaires, car il me faut une impénétrable discrétion et un silence absolu. Quant à moi, pour rien au monde je ne rentrerai dans cette maison.

« Je te donnerai la clef de cette chambre que j’ai fermée moi-même en partant, et la clef de mon secrétaire. Tu remettras en outre un mot de moi à mon jardinier qui t’ouvrira le château.

« Mais viens déjeuner avec moi demain, et nous causerons de cela.

« Je lui promis de lui rendre ce léger service. Ce n’était d’ailleurs qu’une promenade pour moi, son domaine se trouvant situé à cinq lieues de Rouen environ. J’en avais pour une heure à cheval.

« À dix heures, le lendemain, j’étais chez lui. Nous déjeunâmes en tête-à-tête ; mais il ne prononça pas vingt paroles. Il me pria de l’excuser ; la pensée de la visite que j’allais faire dans cette chambre, où gisait son bonheur, le bouleversait, me disait-il. Il me parut en effet singulièrement agité, préoccupé, comme si un mystérieux combat se fût livré dans son âme.

« Enfin il m’expliqua exactement ce que je devais faire. C’était bien simple. Il me fallait prendre deux paquets de lettres et une liasse de papiers enfermés dans le premier tiroir de droite du meuble dont j’avais la clef. Il ajouta :

« — Je n’ai pas besoin de te prier de n’y point jeter les yeux.

« Je fus presque blessé de cette parole, et je le lui dis un peu vivement. Il balbutia :

« — Pardonne-moi, je souffre trop.

« Et il se mit à pleurer.

« Je le quittai vers une heure pour accomplir ma mission.