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UN COUP D’ÉTAT


Paris venait d’apprendre le désastre de Sedan. La République était proclamée. La France entière haletait au début de cette démence qui dura jusqu’après la Commune. On jouait au soldat d’un bout à l’autre du pays.

Des bonnetiers étaient colonels faisant fonctions de généraux ; des revolvers et des poignards s’étalaient autour de gros ventres pacifiques enveloppés de ceintures rouges ; des petits bourgeois devenus guerriers d’occasion commandaient des bataillons de volontaires braillards et juraient comme des charretiers pour se donner de la prestance.

Le seul fait de tenir des armes, de manier des fusils à système affolait ces gens qui n’avaient jusqu’ici manié que des balances, et les rendait, sans aucune raison, redoutables au premier venu. On exécutait des innocents pour prouver qu’on savait tuer ; on fusillait, en rôdant par les campagnes vierges encore de Prussiens, les chiens errants, les vaches ruminant en paix, les chevaux malades pâturant dans les herbages.

Chacun se croyait appelé à jouer un grand rôle militaire. Les cafés des moindres villages, pleins de commerçants en uniforme, ressemblaient à des casernes ou à des ambulances.