Page:Guy de Maupassant - Clair de lune.djvu/67

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— J’ai traversé les boulevards, aujourd’hui.

Deux ou trois fois par an, son mari l’emmenait au théâtre. C’étaient des fêtes dont le souvenir ne s’éteignait plus et dont on reparlait sans cesse.

Quelquefois, à table, trois mois après, elle se mettait brusquement à rire, et s’écriait :

— Te rappelles-tu cet acteur habillé en général et qui imitait le chant du coq ?

Toutes ses relations se bornaient à deux familles alliées qui, pour elle, représentaient l’humanité. Elle les désignait en faisant précéder leur nom de l’article « les » — les Martinet et les Michelint.

Son mari vivait à sa guise, rentrant quand il voulait, parfois au jour levant, prétextant des affaires, ne se gênant point, sûr que jamais un soupçon n’effleurerait cette âme candide.

Mais un matin elle reçut une lettre anonyme.

Elle demeura éperdue, ayant le cœur trop droit pour comprendre l’infamie des dénonciations, pour mépriser cette lettre dont l’auteur se disait inspiré par l’intérêt de son bonheur, et la haine du mal, et l’amour de la vérité.

On lui révélait que son mari avait, depuis deux ans, une maîtresse, une jeune veuve, Mme Rosset, chez qui il passait toutes ses soirées.

Elle ne sut ni feindre, ni dissimuler, ni épier, ni ruser. Quand il revint pour déjeuner elle lui jeta cette lettre, en sanglotant, et s’enfuit dans sa chambre.

Il eut le temps de comprendre, de préparer sa réponse et il alla frapper à la porte de sa femme. Elle ouvrit aussitôt, n’osant pas le regarder. Il souriait ; il s’assit, l’attira sur ses genoux ; et d’une voix douce, un peu moqueuse :

« Ma chère petite, j’ai en effet pour amie Mme Rosset, que je connais depuis dix ans et que j’aime beaucoup, j’ajouterai que je connais vingt autres familles dont je ne t’ai jamais parlé, sachant que tu ne recherches pas le monde, les fêtes et les relations nouvelles. Mais, pour en finir une fois pour toutes avec ces dénonciations infâmes, je te prierai de t’habiller après le déjeuner et nous irons faire une visite