Page:Guy de Maupassant - Clair de lune.djvu/84

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plaisir, tandis que le vent faisait sur les volets des poussées bruyantes et lançait les vieilles girouettes en des tournoiements de toupie. On voulut alors conter des histoires, comme il est dit en des livres ; mais personne n’inventait rien d’amusant. Les chasseurs narraient des aventures à coups de fusil, des boucheries de lapins ; et les femmes se creusaient la tête sans y découvrir jamais l’imagination de Scheherazade.

On allait encore renoncer à ce divertissement, quand une jeune femme, en jouant, sans y penser, avec la main d’une vieille tante restée fille, remarqua une petite bague faite avec des cheveux blonds, qu’elle avait vue souvent sans jamais y réfléchir.

Alors, en la faisant rouler doucement autour du doigt, elle demanda : « Dis donc, tante, qu’est-ce que c’est que cette bague ? On dirait des cheveux d’enfant… » La vieille demoiselle rougit, pâlit ; puis, d’une voix tremblante : « C’est si triste, si triste, que je n’en veux jamais parler. Tout le malheur de ma vie vient de là. J’étais toute jeune alors, et le souvenir m’est resté si douloureux que je pleure chaque fois en y pensant. »

On voulut aussitôt connaître l’histoire, mais la tante refusait de la dire ; on finit enfin par la prier tant qu’elle se décida.

« Vous m’avez souvent entendu parler de la famille de Santèze, éteinte aujourd’hui. J’ai connu les trois derniers hommes de cette maison. Ils sont morts tous les trois de la même façon ; voici les cheveux du dernier. Il avait treize ans quand il s’est tué pour moi. Cela vous paraît étrange, n’est-ce pas ?

« Oh ! c’était une race singulière, des fous, si l’on veut, mais des fous charmants, des fous par amour. Tous, de père en fils, avaient des passions violentes, de grands élans de tout leur être qui les poussaient aux choses les plus exaltées, aux dévouements fanatiques, même aux crimes. C’était en eux, cela, ainsi que la dévotion ardente est dans certaines âmes. Ceux qui se font trappistes n’ont pas la même nature que les coureurs de salon. On disait dans la parenté : « Amoureux comme un Santèze. » Rien qu’à les voir, on le devinait. Ils