Page:Guy de Maupassant - Une vie.djvu/49

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trop lent pour la saisir, elle allait se poster sur un rideau de mousseline, que beaucoup de ses sœurs avaient déjà maculé, et elle semblait guetter avidement le pif enluminé du matelot, car elle reprenait aussitôt son vol pour revenir s’y installer.

À chaque voyage de l’insecte un rire fou jaillissait ; et, lorsque le vieux, ennuyé par ce chatouillement, murmura : « Elle est bougrement obstinée, » Jeanne et le vicomte se mirent à pleurer de gaieté, se tordant, étouffant, la serviette sur la bouche pour ne pas crier.

Lorsqu’on eut pris le café : « Si nous allions nous promener, » dit Jeanne. Le vicomte se leva ; mais le baron préférait faire son lézard au soleil sur le galet : « Allez-vous-en, mes enfants, vous me retrouverez ici dans une heure. »

Ils traversèrent en ligne droite les quelques chaumières du pays ; et, après avoir dépassé un petit château qui ressemblait à une grande ferme, ils se trouvèrent dans une vallée découverte allongée devant eux.

Le mouvement de la mer les avait alanguis, troublant leur équilibre ordinaire, le grand air salin les avait affamés, puis le déjeuner les avait étourdis et la gaieté les avait énervés. Ils se sentaient maintenant un peu fous avec des envies de courir éperdument dans les champs. Jeanne entendait bourdonner ses oreilles, toute remuée par des sensations nouvelles et rapides.

Un soleil dévorant tombait sur eux. Des deux côtés de la route les récoltes mûres se penchaient, pliées sous la chaleur. Les sauterelles s’égosillaient, nom-