Page:Guy de Maupassant - Une vie.djvu/81

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pas se regarder à cette heure sérieuse et décisive d’où dépend l’intime bonheur de toute la vie.

Il sentait vaguement peut-être quel danger offre cette bataille, et quelle souple possession de soi, quelle rusée tendresse il faut pour ne froisser aucune des subtiles pudeurs, des infinies délicatesses d’une âme virginale et nourrie de rêves.

Alors, doucement, il lui prit la main qu’il baisa, et, s’agenouillant auprès du lit comme devant un autel, il murmura d’une voix aussi légère qu’un souffle : « Voudrez-vous m’aimer ? » Elle, rassurée tout à coup, souleva sur l’oreiller sa tête ennuagée de dentelles, et elle sourit : « Je vous aime déjà, mon ami. »

Il mit en sa bouche les petits doigts fins de sa femme, et la voix changée par ce bâillon de chair : « Voulez-vous me prouver que vous m’aimez ? »

Elle répondit, troublée de nouveau, sans bien comprendre ce qu’elle disait, sous le souvenir des paroles de son père : « Je suis à vous, mon ami. »

Il couvrit son poignet de baisers mouillés, et, se redressant lentement, il approchait de son visage qu’elle recommençait à cacher.

Soudain, jetant un bras en avant par-dessus le lit, il enlaça sa femme à travers les draps, tandis que, glissant son autre bras sous l’oreiller, il le soulevait avec la tête : et, tout bas, tout bas il demanda : « Alors, vous voulez bien me faire une toute petite place à côté de vous ? »

Elle eut peur, une peur d’instinct, et balbutia : « Oh, pas encore, je vous prie. »

Il sembla désappointé, un peu froissé, et il reprit d’un ton toujours suppliant, mais plus brusque : « Pour-