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L’ÉDUCATION MORALE.

et qui n’ont rien à voir avec le raisonnement : dates sans importance, noms géographiques inutiles à connaître, petits faits historiques. De telles connaissances fatiguent le cerveau en y entrant, et au lieu de le former en y introduisant des habitudes de raisonnement, le déformeraient plutôt ; c’est de la force intellectuelle dépensée en pure perte, du travail à vide. Un des ennemis du vrai savoir, c’est donc l’érudition. Et par érudition nous entendons, non la connaissance du grec ou du sanscrit, mais la connaissance de détails trop multipliés dans lesquels l’esprit se perd et s’épuise. C’est de l’érudition que de connaître dans leur ordre chronologique tous les noms des Mérovingiens avec la date de leur naissance et de leur mort ; c’est de l’érudition que de retenir à la suite des grands cours d’eau le nom de la Roya, qui sépare, d’après nos géographies, la France de l’Italie, — ce qui est inexact.

L’éducation la meilleure est celle qui n’est pas simplement instructive mais suggestive et conséquemment directrice ; celle qui introduit dans le cerveau, non pas seulement des connaissances susceptibles d’un k double usage », comme disait Socrate, mais des sentiments sociables et des habitudes d’agir liées à des habitudes de pensées élevées. En autres termes, il ne faut pas donner seulement une instruction diffuse créant des tendances opposées qui se partagent l’esprit, mais une instruction coordonnée, concentrée vers un même point directeur et aboutissant à des suggestions pratiques.

Voici les règles qu’établissait Descartes pour son propre compte et qu’il déclare « avoir toujours observées en ses études » :

1o Ne jamais employer que fort peu d’heures par jour aux pensées qui occupent l’imagination (sciences concrètes et arts) ; 2o n’employer que fort peu d’heures par an à celles qui occupent l’entendement seul (mathématiques et métaphysique) ; 3o donner tout le reste du temps au relâche des sens, au repos de l’esprit et à l’exercice du corps.

Descartes compte parmi les exercices de l’imagination toutes les « conversations sérieuses » et tout ce à quoi il faut avoir de l’attention ; c’est pourquoi il se retirait aux champs. Leibnitz, reproduisant les règles de Descartes, dit : « Tant s’en faut, en effet, que notre esprit se polisse par l’excès de rptude, qu’au contraire il en est émoussé ».