Page:Guyau - Éducation et Hérédité.djvu/179

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
155
L’ÉCOLE.

née par l’émotion : l’une est déjà nôtre, la seconde doit le devenir. Oui, nous voyons tous le soleil, mais l’admirons-nous tous au même degré ? C’est un paradoxe que de prétendre que nulle initiation ne soit nécessaire, même pour comprendre l’art simple et naturel ; c’est malheureusement celui qu’on comprend en dernier lieu. Croire que les enfants et le peuple (cette réunion de pauvres grands enfants) ne se plairont pas plus aux enluminures voyantes qu’à une belle gravure, à la musique sautillante et dansante d’un quadrille qu’à un chant simple et sublime, c’est pousser l’amour du peuple jusqu’à un touchant aveuglement. Qui nous donnera un art à la fois grand et populaire, un art vraiment classique et tout entier éducateur ? En attendant, choisissons dans nos œuvres d’art les parties les plus saines, les plus simples, les plus élevées pour les mettre à la portée de tous. Peut-être, après tous nos arts de décadence, verra-t-on refleurir, en effet, un art jeune et vivant, qui sera une des formes de la religion universelle.


« S’il est vrai, dit M. Ravaisson, que chez les enfants, et chez ceux du peuple surtout, l’imagination devance la raison, n’en résulte-t-il pas, non seulement qu’il devrait être fait à la culture de l’imagination, dans l’instruction primaire, une place qu’elle n’y a pas, mais encore que cette culture devrait y être mise en première ligne ? » Il importe en effet de diriger toute faculté naissante, surtout lorsqu’il s’agit de celle que l’on a pu appeler la folle du logis. Établir l’ordre dans les images, c’est commencer les idées, c’est préparer la voie à la raison. Chez les modernes, l’art au sens le plus général joue encore un certain rôle dans l’éducation des classes supérieures ; mais pour l’éducation des classes inférieures il n’en est pas de même ; or l’enfance et la jeunesse de toute classe devraient être élevées in hymnis et canticis : « c’est de la sorte que la jeunesse chez les anciens était nourrie avant tout dans une poésie à la fois religieuse et patriotique, et dans un art émané des mêmes sources, nourrie ainsi avant tout dans le culte de la plus haute beauté. Pourquoi l’éducation moderne, au lieu de se laisser envahir presque entièrement par un prétendu utilitarisme qui laisse sans culture les facultés d’où les autres devraient recevoir l’impulsion ; pourquoi ne s’inspirerait-elle pas à cet égard de la tradition antique ? Ajoutons que, par là, serait résolu ce grand problème dont les systèmes péda-