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L’ÉCOLE.

pourquoi s’est-il sauvé ? demanda un troisième. Lorsqu’on en fut à la bataille de Borodino, et que Tolstoï dut finalement leur dire que les Russes n’avaient pas vaincu, les enfants lui tirent de la peine : « on voyait que je leur portais à tous un coup terrible. » — « Si nous n’avons pas vaincu, eux non plus ! » Lorsque Napoléon vint à Moscou, attendant les clefs et les hommages, ce fut un long cri de révolte. L’incendie de Moscou fut approuvé, cela va sans dire.

Enfin arriva le triomphe, — la retraite… — « Dès que Napoléon eut quitté Moscou, Koutouzov lui donna la chasse et commença à le battre », dit Tolstoï. — Il le lui a fait voir ! cria Petka qui, tout rouge, assis contre le conteur, crispait, dans son agitation, ses doigts noirs. Dès qu’il eut dit cela, un frémissement d’enthousiasme fier secoua la classe entière. Un petit manqua d’être écrasé sans qu’on s’en aperçût : — À la bonne heure ! — Tiens, les voilà, les clefs ! etc. Tolstoï continua en racontant comment on chassa les Français. Ce fut douloureux aux enfants d’apprendre que l’un des Russes arriva trop tard sur la Bérésina ; il fut conspué ; Petka grommela même : — « Moi je l’aurais fusillé pour ce retard ! » Ensuite la pitié les prit pour les Français gelés. Puis on passa la frontière ; les Allemands, jusqu’alors contre les Russes, se déclarent pour eux.

De nouveau les élèves tombent sur l’Allemand qui se trouvait là : — « C’est donc ainsi que vous vous conduisez ? D’abord contre nous, et, quand nous sommes les plus forts, avec nous ? » Et soudain tous se lèvent, en poussant des « ouf ! » dont l’écho va retentir jusque dans la rue.

Quand ils sont un peu calmés, Tolstoï reprend son récit ; il leur conte comment on a reconduit Napoléon jusqu’à Paris, comment on a rétabli le vrai roi sur son trône, et triomphé, et banqueté. Mais les souvenirs de la guerre de Crimée leur gâtent leur joie. — « Attends un peu, dit Petka en frappant du poing, attends, quand je serai grand, je leur rendrai la pareille ! Si nous nous retrouvions à la redoute de Schevardinski ou au mamelon de Malakof, nous les reprendrions ! » Il était déjà tard lorsque Tolstoï termina. À cette heure-là, les enfants ont l’habitude de dormir. Personne ne dormait. Comme Tolstoï se levait, de dessous son fauteuil, à l’étonnement général, sortit Taraska ; il lui jetait des regards à la fois sérieux et animés. — « Comment