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L’ÉDUCATION MORALE.

mettront leurs observations, leurs impressions, leurs sentiments, où ils se mettront eux-mêmes. Bersot objecte au discours latin que, pour y réussir, il faut penser en français avec beaucoup de peine, puis traduire avec beaucoup de peine sa pensée en latin ; dans cette gêne extrême de penser et d’écrire, l’élève pense et écrit par à peu près. — Nous répondrons que toute œuvre d’art et de style exige des efforts et des tâtonnements : c’est même ce qui la rend profitable. — Le latin des élèves, dit-on encore, est un recueil d’expressions et de tours qui assiègent leur mémoire et se battent aux portes pour trouver place ; ces expressions et ces tours sont de tous les auteurs, de toutes les dates ; les élèves notent de préférence ce qui les a le plus frappés, comme étant le plus éloigné de l’babitude, si bien que le courant uni de la langue leur échappe. — Qu’importe ? On n’apprend pas le latin pour parler en latin, ni pour écrire la langue pure d’une seule époque : il y a, là une simple gymnastique. C’est moins le résultat qu’il faut considérer que l’effort d’arrangement, de composition et d’expression. Les vers latins sont meilleurs encore : c’est une initiation, imparfaite sans doute, mais très utile, au langage de la poésie, à ses associations d’images, à son harmonie et à son rythme. Les versions écrites sont un très bon essai de logique et de style. Les narrations sont excellentes, « pourvu, a-t-on dit, que les narrations d’histoire soient historiques, et que les autres ne demandent pas qu’on parle de ce qu’on ne connaît pas. » Les dissertations scientifiques, littéraires, philosophiques et morales, habituent à juger et à raisonner ; les analyses littéraires, à distinguer dans un ouvrage ce qui est essentiel et caractéristique. Ces divers travaux alternés fortifient et assouplissent ; mais les vers surtout, les vers latins, sont par excellence l’exercice littéraire ; un élève qui n’a jamais fait un seul vers n’est pas vraiment un lettré. Le vers latin développe l’esprit poétique sans persuader aux enfants qu’ils sont des poètes en herbe, sans les enivrer d’avance des succès de salon.

Aucun exercice ne peut donc remplacer ni le vers, ni le discours, ni la narration, ni la dissertation dans l’éducation littéraire. On a fait tantôt un crime, tantôt un honneur aux Jésuites de les avoir inventés. Mais, à vrai dire, la poésie et l’éloquence ont toujours servi de base à