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L’ÉDUCATION MORALE.

rences sont à côté les unes des autres ; les instituts appartiennent à un ensemble : les professeurs sont encore liés par les facultés et le sénat, le personnel, par des statuts et une organisation extérieure ; mais le lien intellectuel fait défaut ; les rapports personnels se relâchent, et les étudiants se séparent, comme si l’université était déjà divisée en un système d’écoles spéciales, entièrement distinctes[1]. » Un autre écrivain, anonyme, que l’on sait être un professeur d’une des grandes universités de l’Allemagne, a confirmé l’opinion de Lasker. D’après lui, les étudiants ne se mêlent pas au pied des chaires professorales, et chaque faculté a son auditoire distinct. Entrez dans un auditoire où le gentleman domine, vous êtes à la faculté de droit. Voyez, dans cette autre salle, « une réunion étrangement mêlée de têtes de moutons et de quelques figures à caractère ; » vous êtes chez les théologiens. Dans une troisième salle, « les lunettes trônent sur le nez de la plupart des assistants ; la coupe des cheveux varie entre la coiffure à la brebis et les boucles à la Raphaël ; on n’a pas ici l’ambition de précéder la mode, mais on a la mauvaise fortune de donner une collection presque complète des modes des quinze dernières années. On y voit des chapeaux roussis, des devants de chemise et des cravates rebelles, de grandes oreilles, de grosses pommettes, des coudes longs. Il y a des exceptions, mais rares : dans ces auditoires se font des cours de philologie, d’histoire, de mathématiques, de sciences naturelles. » Ces auditoires sont ceux de la « faculté de philosophie », qui correspond à nos deux facultés des sciences et des lettres ; ces étudiants sont de futurs professeurs de gymnases. Chacun vit donc chez soi, et même la faculté de philosophie se divise et se subdivise en compartiments : les philologues n’étudient pas la littérature, les historiens n’étudient pas la philologie ; à plus forte raison, littéraires et scientifiques vivent-ils isolés les uns des autres. C’est ainsi que l’université, qui, comme son nom l’indique, devrait tendre à l’universalité du savoir, tend à une spécialisation exclusive.

En France, jusqu’à ces dernières années, nos facultés n’avaient pas d’élèves réguliers. Aujourd’hui elles ont une clientèle d’étudiants. De là la querelle des cours ouverts

  1. Deutsche Rundschau, 1874.