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L’ÉDUCATION MORALE.

la bonne humeur que produit la bonne santé ont formé bien des attachements conduisant au mariage. Tout le monde a connu des cas dans lesquels la perfection des formes a fait naître, en l’absence de toute autre recommandation, une passion irrésistible ; mais bien peu de gens ont vu l’instruction d’une jeune personne exciter, en debors de ses mérites physiques et moraux, un pareil sentiment. » Selon Spencer, de tous les éléments qui se combinent dans le cœur de l’homme pour produire l’émotion complexe qu’on appelle amour, les plus puissants sont « ceux qui naissent des avantages extérieurs » ; en seconde ligne viennent « ceux que fournissent les qualités morales » ; les plus faibles sont ceux qui sont produits par « les attraits intellectuels » ; et ceux-ci dépendent moins de l’instruction acquise que de facultés naturelles, telles que la vivacité d’esprit, la finesse, la pénétration. « Si quelque personne trouve que notre assertion a quelque cliose de dégradant pour l’homme et s’indigne que le caractère masculin puisse se laisser dominer par de pareils motifs, nous répondrons qu’on ne sait guère ce que l’on dit. Une des fins de la nature, ou plutôt sa fin suprême, est le plus grand avantage de la postérité ; en ce qui concerne cette fin, une intelligence cultivée, accompagnée d’une mauvaise constitution physique, est de peu de valeur, puisque les descendants mourront faute de santé dans une génération ou deux ; à l’inverse, un beau et robuste physique, quoiqu’il ne soit accompagné d’aucun talent, mérite d’être conservé, parce que, dans les générations à venir, rintelligence pourra être indéfiniment développée : donc nous voyons combien est importante cette direction imprimée aux instincts de l’homme. Mais, quoi qu’il en soit de ce côté de la question, les instincts existent, et c’est en conséquence une folie que de persister dans un système qui détruit la santé d’une jeune fille, pour le plaisir de surcharger sa mémoire[1]. »

S’ensuit-il que la femme ne doive pas être instruite ? Loin de là, nous irons même jusqu’à dire qu’elle doit être le plus instruite possible dans les limites de la force dont elle dispose. Mais autre chose est l’instruction, autre chose la dépense intellectuelle ; le problème, dans toute édu-

  1. Spencer, De l’Éducation.