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L’ÉDUCATION DES FILLES ET L’HÉRÉDITÉ

portée en est réduite à imaginer ce qu’elle ne peut voir encore. Qu’ils songent bien d’ailleurs, ceux qui ne veulent considérer dans une jeune fille que ses joues rouges, qu’il est de toute nécessité, au moins dans les classes aisées, d’ouvrir un champ d’activité suffisant à l’intelligence de la jeune fille — intelligence que la nature ne lui a pas refusée, et qui s’emploiera d’une façon ou d’une autre, ne fût-ce que dans les mille niaiseries et frivolités que comporte la vie mondaine. Or on s’use et on pâlit dans une existence vaine autant et même plus que dans une existence sérieuse et réfléchie. De plus, l’élargissement de l’intelligence ne peut que donner un appui et un élan nouveau au développement des qualités morales, qui transparaissent, plus qu’on ne l’imagine, sous la fraîcheur des dix-huit ans. Enfin c’est folie que de se figurer qu’à un homme instruit il suffira d’une compagne aux joues vermeilles : l’accoutumance en diminue l’éclat ; au contraire, les qualités morales sont à toute heure les bienvenues : un esprit cultivé se fait insensiblement un compagnon journalier. Le rôle de la femme, il y a longtemps qu’on l’a dit, ne commence guère qu’après son mariage[1]. N’oublions pas

  1. « Quel excellent conseiller, dit Stendhal, un homme ne trouverait-il pas dans sa femme si elle savait penser !… » — « Les ignorants sont les ennemis-nés de l’éducation des femmes. » — " Le dernier des hommes, s’il a vingt ans et les joues bien roses, est dangereux pour une femme qui ne sait rien, car elle est toute à l’instinct ; aux yeux d’une femme d’esprit, il fera justement autant d’effet qu’un beau laquais… » — « Il est relativement fréquent qu’une fille jolie ait mauvais caractère et se montre paresseuse. Elle sent de bonne heure que son visage lui donne des droits, des privilèges aux yeux des hommes, qu’il lui est inutile de faire effort pour acquérir d’autres qualités alors qu’elle a naturellement celle-ci : la beauté. « — « Le désir de plaire, dit encore Stendhal, met à jamais la pudeur, la délicatesse et toutos les grâces féminines hors de l’atteinte de toute éducation quelconque. C’est comme si l’on craignait d’apprendre à l’oiseau à ne pas chanter au printemps. » Les grâces des femmes ne tiennent pas à l’ignorance ; voyez les dignes épouses des bourgeois de notre village, voyez en Angleterre les fenmies des gros marchands. » — « La plupart des hommes ont un moment dans leur vie où ils peuvent faire de grandes choses : c’est celui où rien ne leur semble impossible. L’ignorance des femmes fait perdre au genre humain cette chance magnifique. L’amour fait tout au plus aujourd’hui bien monter à cheval, ou bien choisir son tailleur. » — « Toutes les premières expériences doivent nécessairement contredire la vérité. Éclairez fesprit d’une jeune fille, formez son caractère, donnez-lui enfin une bonne éducation dans le vrai sens du mot : s’apercevant tôt ou tard de sa supériorité sur les autres femmes, elle devient pédante, c’est-à-dire l’être le plus désagréable et le plus dégradé