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L’ÉDUCATION MORALE.

atteindre le but, il n’est pas d’efforts ni de sacrifices qu’elles ne fassent. Elles délaissent les soins du ménage et s’adonnent, avec une ardeur croissante, à ces études qui usent leur vie et qui le plus souvent ne les conduisent qu’à une déception, La carrière de l’enseignement, en raison même de l’attrait qu’elle excite, est aujourd’hui tellement encombrée que ce n’est plus qu’un leurre. Le 1er janvier de l’année 1887, il y avait en France 12 741 jeunes filles aspirant aux fonctions d’institutrice, et, dans ce nombre, 4 174, c’est-à-dire près du tiers, pour le département de la Seine. Or, à Paris, on ne disposait, pour 1887, que de soixante places d’institutrices, dont vingt-cinq attribuées par avance aux élèves sortant de l’École normale. Le reste devait être partagé entre les suppléantes à traitement fixe, qui ne sont pas moins de quarante. On peut juger par là du sort qui attend en province les 8 567 jeunes filles convoitant ces positions. Le nombre toujours croissant des aspirantes a mis l’Université dans l’obligation de multiplier les difficultés. On a placé le concours à tous les degrés de l’enseignement, et les programmes sont devenus de plus en plus hérissés. Les jeunes filles qui aspirent à entrer à l’École normale mènent la même existence que les candidats aux écoles spéciales. Mêmes émotions, mêmes angoisses, mêmes efforts désespérés au moment suprême de la lutte ; et elles ont moins de force pour les supporter. Sur quatre à cinq cents jeunes filles de quinze à dix-huit ans qui se présentent chaque année au concours pour l’École normale du département de la Seine, on en reçoit vingt-cinq. Comme elles sont internées, qu’on les défraie de tout, qu’on leur garantit à la sortie une place dans les écoles primaires du département, on conçoit l’ardeur qu’elles déploient dans la lutte pour y arriver quand même.

À Paris, où les lois nouvelles portent leurs premiers fruits, l’administration dispose annuellement de cmquante places, pour lesquelles il y a déjà trois mille postulantes. Que deviendront les neuf dixièmes de ces jeunes filles à qui l’État avait semblé promettre une carrière en leur délivrant un brevet ? Il faudrait vraiment se préoccuper de créer des positions pour les femmes partout où elles peuvent remplacer l’homme avantageusement, ce qui est encore assez fréquent. Dans l’instruction primaire et