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L’ÉDUCATION MORALE.

son amour ; c’est pour y atteindre qu’il dépassera tout ce qui est borné, l’individu, la famille, la patrie. Le grand rôle du stoïcisme, comme du christianisme, fut de répandre, par opposition à l’esprit de cité et à l’esprit de caste, l’amour du genre humain, caritas generis humani : « Aime les hommes de tout ton cœur[1]. » L’humanité même ne suffit pas au stoïcien. La raison n’embrasse-t-elle pas et ne pénètre-t-elle pas le monde entier, ce dieu dont nous sommes à la fois, selon la parole de Sénèque, les « compagnons et les membres, sociique membraque ?  » Les éléments sont pour nous des choses « amies et parentes, φίλα ϰαὶ συγγενῆ[2]. » Il règne entre les êtres « un rapport de famille », « une évidente et admirable parenté[3] » ; « un nœud sacré » rattache toutes les parties de l’univers. « Le monde est une seule cité (μία πόλις), et l’essence dont il est formé est unique ; tout est peuplé d’amis : les dieux d’abord, puis les hommes : πάντα φίλων μεστά[4]. » Ainsi le même amour rationnel qui unit les hommes entre eux relie l’humanité au monde et au principe du monde. « Un personnage de théâtre dit : Ô bien aimée cité de Cécrops ; mais toi, ne peux-tu pas dire : Ô bien aimée cité de Jupiter[5] ! »


  1. Marc-Aurèle, VII, xiii. Ἀπὸ ϰαρδίας φίλει τοὺς ἀνθρώπους.
  2. Entretiens, III, xiii.
  3. Marc-Aurèle, IV, xlv.
  4. Entretiens, III, xxiv, 10.
  5. Marc-Aurèle, IV, xxiii.