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L’ÉDUCATION MORALE.

Ceux auxquels on croit le plus et qui sont les plus obéis sont les plus croyants, ou ceux qui semblent tels. Le pouvoir d’affirmation se résolvant lui-même dans une énergie de la volonté, la parole cela est se ramène à cette autre : je veux que cela soit, j’agis comme si cela était, je m’adapte tout entier à ce phénomène supposé. — De là, cette loi : toute volonté forte tend à créer une volonté de même direction chez les autres individus ; toute adaptation de la conscience à un phénomène supposé, par exemple à un événement futur ou à un idéal lointain, tend à se propager dans les autres consciences, et les conditions sociales favorables à l’apparition du phénomène, tendent ainsi d’elles-mêmes à se réunir, par le seul fait qu’une seule conscience les a perçues en elle-même comme réunies[1]. Ce que je crois et vois assez énergiquement, je le fais croire et voir à tous, et si tous le voient, cela est, — du moins dans la proportion où la conscience et la croyance collective peuvent équivaloir à une réalisation.

Une seconde loi, c’est que la puissance de contagion d’une croyance, et conséquemment d’une volonté, est en raison directe de sa force de tension et, pour ainsi dire, de sa première réalisation intérieure. Plus on croit et agit soi-même, plus on agit sur autrui et plus on fait croire. La volition énergique se transforme aussitôt en une sorte de commandement : l’autorité est le rayonnement de l’action. Les charlatans et tous les orateurs en général connaissent bien cette puissance contagieuse de l’affirmation ; il faut entendre de quelle voix assurée et avec quel accent de foi ils affirment ce dont ils veulent convaincre ; leur ton est leur premier argument et parfois le plus solide.

Chez des sujets hypnotisables, — il ne faut pas oublier qu’on en trouve environ trente sur cent parmi les individus normaux — une simple affirmation à l’état de veille, faite d’un ton d’autorité par une personne en qui ils ont confiance, suffit à produire des illusions ou des hallucinations véritables. Sur une simple affirmation de M. Bernheim, un de ses sujets, parfaitement éveillé, croit avoir vu dans une chapelle une batterie entre des ouvriers dont il donne le signalement à un commissaire de police ; il se déclare prêt à témoigner en justice et à prêter serment. L’hallucination suggérée devient ainsi le principe d’une ligne de conduite, et pourrait donner lieu aux conséquences

  1. Encore un exemple frappant d’idée-force.