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LE RISQUE MÉTAPHYSIQUE DANS L’ACTION.

l’idéal n’est pas tout fait comme une maison, il dépend de nous de travailler ensemble à le faire.

Les religions disent : — J’espère parce que je crois et que je crois à une révélation extérieure. — Il faut dire : — Je crois parce que j’espère, et j’espère parce que je sens en moi une énergie tout intérieure qui doit entrer en ligne de compte dans le problème. Pourquoi ne regarder qu’un côté de la question ? S’il y a le monde inconnu, il y a le moi connu. J’ignore ce que je puis au dehors, et je n’ai nulle révélation, je n’entends aucune « parole » résonnant dans le silence des choses, mais je sais ce qu’intérieurement je veux, et c’est ma volonté qui fera ma puissance. L’action seule donne la confiance en soi, dans les autres, dans le monde. La pure méditation, la pensée solitaire finit par vous ôter des forces vives. Quand on se tient trop longtemps sur les hauts sommets, une sorte de fièvre vous prend, de lassitude infinie ; on voudrait ne plus redescendre, s’arrêter, se reposer ; les yeux se ferment ; mais, si l’on cède au sommeil, on ne se relève plus : le froid pénétrant des hauteurs vous glace jusqu’à la moelle des os ; l’extase indolente et douloureuse dont vous vous sentiez envahir était le commencement de la mort.

L’action est le vrai remède du pessimisme, qui d’ailleurs peut avoir sa part de vérité et d’utilité quand il est pris dans son sens le plus haut. Le pessimisme, en effet, consiste à se plaindre non de ce qui est dans la vie, mais de ce qui n’y est pas. Ce qui est dans la vie ne constitue guère le principal objet des tristesses humaines, et la vie en elle-même n’est pas un mal. Quant à la mort, c’est simplement la négation de la vie. On voudrait ne pas mourir, soi et les siens, mais c’est par aspiration à une existence supérieure, comme on voudrait connaître la vérité, voir Dieu, etc. L’enfant qui