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DIVERS ESSAIS POUR JUSTIFIER L’OBLIGATION.


II

MORALE DE LA FOI


Après le dogmatisme moral de Kant, pour qui la forme de la loi est apodictiquement certaine et pratique par elle-même, nous trouvons un kantisme altéré qui fait du devoir même un objet de foi morale, non plus de certitude. Kant ne faisait commencer la foi qu’avec les postulats qui suivent l’affirmation certaine du devoir ; aujourd’hui on a fait remonter la foi jusqu’au devoir même.

Si de nos jours la foi religieuse proprement dite tend à disparaître, elle est remplacée dans un grand nombre d’esprits par une foi morale. L’absolu s’est déplacé, il est passé du domaine de la religion dans celui de l’éthique ; mais là encore il n’a rien perdu du pouvoir qu’il exerce sur l’esprit humain. Il est resté capable de soulever les masses, on en a vu un exemple dans la Révolution française ; il peut provoquer le plus généreux enthousiasme ; il peut produire aussi un certain genre de fanatisme, beaucoup moins dangereux que le fanatisme religieux, mais qui a pourtant ses inconvénients. Au fond, il n’y a pas de différence essentielle entre la foi morale et la foi religieuse ; elles se contiennent mutuellement ; mais, malgré le préjugé contraire encore trop répandu de nos jours, la foi morale a un caractère plus primitif et plus universel que l’autre. Si l’idée de dieu a jamais eu une valeur métaphysique et une utilité pratique, c’est en tant qu’elle apparaissait comme unissant la force et la justice ; au fond, dans l’affirmation réfléchie de la divinité était contenue l’affirmation suivante :