doute, c’est la dignité de la pensée. Il faut donc chasser de nous-mêmes le respect aveugle pour certains principes, pour certaines croyances ; il faut pouvoir mettre tout en question, scruter, pénétrer tout : l’intelligence ne doit pas baisser les yeux, même devant ce qu’elle adore. Sur un tombeau de Genève se lit cette inscription : « La vérité a un front d’airain, et ceux qui l’auront aimée seront effrontés comme elle. »
Mais, dira-t-on, s’il est irrationnel d’afirmer dans sa
pensée comme vrai ce qui est douteux, il faut bien
pourtant l’affirmer parfois dans l’action. — Soit, mais
c’est toujours une situation provisoire et une affirmation
conditionnelle : je fais cela, — en supposant que ce soit mon
devoir, que j’aie même un devoir absolu. Mille actions
de ce genre ne peuvent pas établir une vérité. La foule des
martyrs a fait triompher le christianisme, un petit
raisonnement peut suffire à le renverser. Comme l’humanité
y gagnerait d’ailleurs, si tous les dévouements étaient en
vue de la science et non de la foi, si on mourait non pour
défendre une croyance, mais pour découvrir une vérité,
quelque minime qu’elle fût ! Ainsi firent Empédocle et
Pline, et de nos jours tant de savants, de médecins,
d’explorateurs : que d’existences jadis perdues pour affirmer
des objets de foi fausse, qui auraient pu être utilisées pour
l’humanité et la science !
III
MORALE DU DOUTE
Nous avons vu la certitude du devoir, telle que l’admettait Kant, se résoudre en foi, même chez les disciples de Kant, et la foi elle-même se résoudre en un doute qui ne veut