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origine anthropomorphique de l’idée de création.

duite, ira se développant jusqu’au jour où on en viendra, d’induction en induction, à supposer que le monde tout entier est une œuvre divine, que la terre et les astres ont été tout ensemble façonnés et créés par une volonté supranaturelle. Si l’homme peut faire sortir le feu d’un caillou, pourquoi Dieu ne ferait-il pas sortir le soleil du firmament ? La conception d’un créateur, qui semble d’abord la conséquence lointaine d’une suite de raisonnements abstraits, est ainsi une des manifestations innombrables de l’anthropomorpbisme ; c’est une de ces idées qui, au moins par leur origine, semblent plutôt paraphysiques que métaphysiques. Elle repose, au fond, sur l’ignorance de la transformation toujours possible des forces les unes dans les autres, grâce à laquelle toute création apparente se réduit à une équivalence substantielle et les prétendus miracles à un ordre immuable.

En somme, le pouvoir de création dans le temps attribué à Dieu est, selon nous, une extension du pouvoir providentiel, qui, lui-même, est une notion empiriquement obtenue. Quand les théologiens, aujourd’hui, commencent par poser la création pour en déduire la providence, ils suivent une marche précisément inverse de celle qu’a suivie l’esprit humain. C’est seulement grâce à l’essor toujours croissant de la pensée abstraite et aux spéculations métaphysiques sur la cause première, que l’idée d’un Dieu créateur a acquis ainsi une sorte de prépondérance et constitué, de nos jours, un élément essentiel des grandes religions. Le dualisme, nous l’avons vu, subsiste encore dans cette idée ; il est la forme principale sous laquelle ont été conçues l’union de l’âme et du corps, l’union de la providence et des lois naturelles, l’union du créateur et de la créature. Pourtant, dès l’antiquité, la notion d’une unité suprême au fond de toutes choses a été entrevue d’une manière plus ou moins vague. À cette notion se rattachent les religions panthéistes, monistes, principalement celles de l’Inde. Le brahmanisme et le bouddhisme tendent à ce que l’on a appelé l’illusionnisme absolu, au profit d’une unité où l’être prend pour nous la forme du non-être.


C’est une naturelle tentation que celle de classer systématiquement les diverses métaphysiques religieuses et de les faire évoluer selon une loi régulière, conformément à des cadres plus ou moins déterminés ; mais il faut ici se