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dissolution des religions.

élève les dogmes au-dessus de soi comme principes immuables. Elle renferme d’avance l’intelligence dans des limites précises, et elle lui impose une direction générale avec le devoir de n’en pas dévier. C’est alors que la foi s’oppose véritablement à la croyance scientifique, dont elle fut à l’origine un substitut. Suivant la définition même donnée par le concile du Vatican, celui qui a la foi ne croit pas « à cause de la vérité intrinsèque » des choses révélées, mais « à cause de l’autorité divine qui les a révélées. » Raisonnez avec un tel homme, il vous écoute, vous comprend et vous suit, — mais jusqu’à un certain point seulement ; là, il s’arrête, et rien au monde ne pourra le faire passer outre. Bien plus, de ce point il se déclare absolument inexpugnable, il vous soutient que vous n’avez aucune prise sur lui. Et en effet, aucun raisonnement scientifique ou philosophique ne pourra le faire se départir de sa croyance, puisqu’il place l’objet de cette croyance dans une sphère supérieure à la raison et fait de sa foi une affaire de « conscience. » Rien ne peut obliger un homme à penser juste quand il ne se propose pas comme but suprême la rectitude de la pensée ; d’autre part, rien ne peut l’obliger à faillir s’il croit faire une faute dès qu’il met en question certains dogmes ou certaines autorités. La foi donne ainsi un caractère sacré et inviolable à ce qu’elle adopte : c’est une arche sainte qu’on ne peut, sans sacrilège et sans danger, ni regarder de trop près ni toucher du doigt, même pour la soutenir lorsque parfois elle semble près de tomber. La libre pensée et la science ne considèrent jamais une chose comme vraie que jusqu’à nouvel ordre et tant qu’elle n’est sérieusement mise en doute par personne ; la foi dogmatique, au contraire, affirme comme vrai non pas ce qui est incontesté, mais ce qui, selon elle, est en droit incontestable, ce qui se trouve par cela même au-dessus de la discussion. D’où il suit que, si les raisons de croire diminuent, la foi ne doit pas diminuer pour cela. C’est ce que Pascal s’était donné à tâche de démontrer. En effet, moins une croyance semble rationnelle à notre esprit borné, plus il y a de mérite à l’embrasser sur la foi de « l’autorité divine : » il serait trop simple d’affirmer ce qu’on voit ou même ce qui semble probable ; affirmer l’improbable, croire à ce qui semble impossible, voilà qui est bien plus méritoire. Le cœur se hausse à mesure que la pensée s’abaisse et s’humilie ; plus on paraît « absurde, » et plus on est grand : « credo quia ineptum ; » le devoir étant