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introduction.


dans la période religieuse, et d’autre part ce sentiment de dépendance n’est pas accompagné d’une réaction moins vive dans la science que dans la religion : le savant et le croyant travaillent également à s’affranchir, mais par des moyens différents. Faut-il donc se contenter ici d’une définition tout extérieure et négative et dire avec M. Darmesteter : « La religion embrasse tout le savoir et tout le pouvoir non scientifique[1] » ? Un savoir non scientifique n’a guère de sens, et quant au pouvoir non scientifique, il faudrait le distinguer d’une manière positive du pouvoir que confère la science : or, si l’on s’en tient aux faits, le pouvoir de la religion c’est celui qu’on n’a réellement pas, tandis que le pouvoir de la science est celui qu’on possède et qu’on prouve. — On pourrait, il est vrai, faire intervenir dans la définition l’idée de croyance pour l’opposer à la certitude scientifique ; mais le savant, lui aussi, a ses croyances, ses préférences pour telle ou telle hypothèse cosmologique, qui pourtant ne sont pas proprement des croyances religieuses. La « foi » religieuse et morale, telle qu’elle s’affirme aujourd’hui en prétendant s’opposer à l’« hypothèse » scientifique, est une forme ultime et très complexe du sentiment religieux, que nous examinerons plus tard, mais qui ne peut rien nous révéler sur sa primitive origine.

Selon nous, c’est toujours au point de vue social qu’il en faut revenir. Le sentiment religieux commence là où le déterminisme mécanique paraît faire place dans

  1. Voir un compte-rendu des Prolégomènes de M. Albert Réville, par M. Darmesteter, Revue philosophique, septième année, t. I, p. 76.