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dissolution de la foi dogmatique.

frapper l’homme, se pliera à toutes les circonstances de la vie, nous accompagera partout, nous enveloppera d’un réseau protecteur. Alors l’agriculture même, la marine, tous les métiers et tous les arts où l’initiative humaine a une part moindre, où il faut attendre la « bénédiction particulière du ciel » et où le succès final reste toujours aléatoire, se verront devenir de plus en plus indépendants et libres. On peut croire qu’un jour l’idée de providence particulière sera complètement éliminée de la sphère économique : tout ce qui, d’une manière ou d’une autre, pourra s’estimer en argent, sera couvert par une assurance, mis à l’abri du sort, retiré à la faveur divine.

Reste la sphère purement sensible et effective, les accidents physiques ou moraux qui peuvent nous arriver, les maladies qui peuvent tomber sur nous et sur les nôtres. C’est là que la volonté du grand nombre des hommes se sent le plus impuissante, leur perspicacité le plus en défaut. Il suffit d’avoir entendu quelques personnes du peuple raisonner physiologie ou médecine pour se rendre compte combien est grand sur ce point l’abaissement de leur intelligence. Souvent même des hommes d’une éducation plus disting"uée n’en savent pas plus qu’eux sur ce point. En g’énéral, notre ig-norance de l’hygiène et des notions les plus élémentaires de la médecine est telle, que nous sommes désarmés devant tout mal physique tombant sur nous ou sur les nôtres. À cause de cette impuissance où nous nous voyons d’agir là où précisément nous voudrions le plus agir, nous cherchons une issue pour notre volonté comprimée, pour notre espérance inquiète, et nous la trouvons dans la demande adressée à Dieu. Bien des gens n’ont jamais songé à prier que dans la maladie, ou lorsqu’ils voyaient des êtres chers malades autour d’eux. Comme toujours, le sentiment d’une « dépendance absolue » provoque ici le retour du s’intiment religieux. Mais, plus l’instruction se répandra, plus les sciences naturelles tomberont dans le domaine commun, mieux nous nous sentirons armés d’une certaine puissance même en face des accidents physiques. Dans les familles très pieuses, le médecin n’apparaissait guère autrefois que comme un instrument de la providence spéciale ; on avait confiance en lui moins à raison de son talent que de sa religiosité ; cette confiance était absolue, on se déchargeait sur lui de toute responsabilité, comme les peuples primitifs sur les sorciers et les prêtres-médecins. Maintenant on com-